Axe III

Axe III
Espaces et mobilités dans la péninsule Arabique
S’appuyant sur les sciences sociales (histoire, géographie, sociologie, anthropologie, sciences politiques), cet axe a pour but d’explorer les différentes formes de composition et de recomposition de l’espace de la péninsule Arabique à l’époque contemporaine. Le rapport à l’espace et à sa représentation est envisagé dans ses dimensions humaines (migrations, démographie), économiques (développement des villes, enjeux du pétrole et de l’après-pétrole) ainsi que socio-politiques (constructions des identités, cultures cosmopolitiques, modèles sociaux) et artistiques (architecture, arts visuels, histoire de l’art contemporain).
Afin de saisir à la fois les enjeux locaux et globaux de l’organisation de l’espace et de sa représentation contemporaine en contexte golfien, ces recherches se penchent entre autres sur les modes d’urbanisation et les transformations territoriales en questionnant la manière dont se donnent à voir des évolutions de l’espace qui ne sont pas seulement matérielles et physiques, mais aussi sociales et symboliques. Par des prismes aussi originaux que variés que sont les pratiques artistiques, les subjectivités individuelles et collectives, les mobilités sociales ou encore l’urbanisme et l’architecture, la recherche dédiée à ces thèmes vise à dessiner des pistes de réflexion menant à comprendre ce qui particularise ces thématiques dans des contextes particulièrement clivés et multiculturels. La transformation rural/urbain, les processus identitaires, mais aussi l’appropriation de l’espace tant public que privé par les différents habitants de la péninsule Arabique, sont ainsi au centre de la réflexion des chercheurs dont les travaux relèvent de l’axe III.
1. Les transformations de l’espace dans la péninsule Arabique : des villes de l’encens aux villes du futur
Bien qu’elles aient un passé qui plonge ses racines dans des époques remontant à la période médiévale et parfois à l’Antiquité, voire à la préhistoire, la plupart des villes de la péninsule Arabique se distinguent aujourd’hui par l’adoption d’un paradigme de développement d’inspiration néolibérale, ouvert sur l’extérieur et résolument tournée vers le futur. La coexistence de modèles urbains anciens et de plans relevant de l’ultra-moderne est ce qui frappe l’observateur des mondes urbains qui se développent depuis un peu plus d’un demi-siècle, en lien notamment avec l’industrie pétrolière.
Jadis étapes importantes dans le commerce des caravanes, le commerce maritime et le commerce des perles, Mascate, Doha, Abou Dhabi, Manama, Koweït City, ou les villes de l’intérieur comme les oasis du Qasim et de l’Ahsa, sont devenues des villes dont les activités économiques et financières sont structurées par l’industrie des hydrocarbures. Cette particularité des pays du Golfe a provoqué, parallèlement et en raison des enjeux planétaires que constituent les questions de l’environnement, la mise en place de plans d’investissement orientés vers la diversification de l’économie, faisant ainsi de la transition énergétique un défi majeur pour le Moyen-Orient.
Les plans pour l’après-pétrole ne sont pas nouveaux. Les recettes avancées pour remédier aux effets du contre-choc pétrolier dans les années 1980 et 1990 sont toujours celles qui occupent les membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) : la limitation de la production par le biais des quotas afin de faire remonter les cours, la réduction du rôle de l’État et des dépenses publiques dans l’économie, la nationalisation de la main-d’œuvre (la préférence nationale) et le rôle privilégié accordé au secteur privé pour diversifier les économies nationales.
Ces dimensions économiques orientent les développements des mondes urbains et de leurs liens avec les mondes agraires et l’espace du désert. Malgré les retards et l’abandon de plusieurs mesures les plus « renouvelables » de Masdar aux portes d’Abou Dhabi, le projet «Neom», dans le nord-ouest de l’Arabie saoudite, reprend le modèle d’une bulle de hautes technologies et d’énergies vertes. Parce qu’elle est conjuguée à l’enterrement de l’État-rentier, la transition énergétique s’avère partout plus profonde qu’un ensemble de réformes purement économiques ; elle montre à quel point les dynamiques économiques dans la péninsule Arabique sont associées aux reconfigurations sociales, culturelles et politiques qu’elles génèrent à l’échelle nationale et régionale.
2. Mobilités, migrations et cosmopolitismes
Aujourd’hui, la péninsule Arabique s’impose comme un hub international où converge les hommes, les femmes, les biens, les cultures et les capitaux. Sa modernisation rapide au XXe siècle a accéléré le processus de mondialisation et de circulation des modèles de société, d’économie ou d’urbanisme. Le développement urbain très rapide favorise une croissance démographique inédite : Dubaï par exemple compte 1,5 millions d’habitants en 1966. Aujourd’hui, 3 millions de personnes vivent dans cette « ville globale » dont seulement 12% sont émiratis, le reste étant des travailleurs immigrés.
Le fait migratoire et les échanges culturels qu’il facilite imposent de réfléchir sur les questions de transferts culturels, de l’altérité et de la diversité dans le monde global. Ces échanges sont ainsi pris comme des révélateurs des tensions provoquées par la remise en cause ou même l’éclatement des modes de vie et des représentations, ainsi que comme des éléments explicatifs de l’évolution des sociétés péninsulaires vers une trans-nationalité de plus en plus marquée. Attaché à l’exploration des changements urbains en les articulant aux mobilités et migrations, les travaux relevant de cet axe œuvrent à comprendre les mécanismes de construction des villes globales, et plus particulièrement, au sein des villes-mondes, ils cherchent à réfléchir sur le concept de villes cosmopolites et à saisir les manifestations empiriques du cosmopolitisme par une approche multidisciplinaire et comparative.
Les recherches menées au CEFREPA dans cette perspective interrogent aussi les politiques publiques qui déterminent fortement le rapport à l’espace public, les reconfigurations des rapports de genre, les différenciations générationnelles, en plus des appartenances locales (sociolinguistiques, ethniques, religieuses, etc.) dans des contextes cosmopolites. Les régimes migratoires et la constitution de communautés identitaires marquées des phénomènes relatifs à la globalisation sont également un domaine d’investigation prioritaire de cet axe. Enfin, il s’agit de saisir la manière dont se construisent les subjectivités, à travers le façonnement d’espaces quotidiens et d’entre-soi eux-mêmes fortement particularisés.
Au-delà des frontières nationales ou régionales, l’étude de la mobilité permet de saisir les mécanismes socioculturels qui mettent en rapport individu, société et espace. Cet axe aide donc à la création d’un espace de discussion intellectuelle sur cette thématique encore méconnue dans l’hexagone et qui est pourtant fortement débattue dans de nombreux pays (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne, Italie, Australie par exemple) : le cosmopolitisme comme analyse spécifique du vivre ensemble et du fonctionnement du lien social dans des villes globales.
3. Modernités urbaines et arts visuels
Depuis quelques années, certaines villes de la péninsule Arabique aspirent à jouer un nouveau rôle, celui de devenir une destination artistique et touristique de premier plan, et de jouer le rôle d’un « hub » culturel, lieu de rencontre entre artistes de la région mais aussi du monde. Initié par Dubaï, ce processus est reproduit au Qatar, au Koweït ou en Arabie saoudite, avec la multiplication des musées, des galeries, des centres de promotion de l’art contemporain, souvent dans des espaces urbains périphériques et industriels, ce qui a favorisé la création d’une scène artistique golfienne et surtout d’un marché de l’art qui est en pleine expansion. D’Art Dubaï, la foire d’art contemporain créée en 2006, à l’Exposition universelle inaugurée en 2020, le domaine des arts visuels semble en effet vouloir contribuer à changer non seulement l’image de la ville mais la ville elle-même.
Alors que l’art contemporain connaît depuis quelques années un essor sans précédent dans la péninsule Arabique, la littérature sur le sujet demeure étonnement insuffisante. Le développement de parcs muséaux d’envergure aux Emirats arabes unis et au Qatar ont contribué à attirer l’attention des chercheurs sur les différentes dimensions – politiques, économiques, géopolitiques et sociales – de ces projets. En revanche, l’histoire de l’art contemporain dans l’ensemble de la région, la structuration et les évolutions des marchés et scènes artistiques, la multiplication des institutions publiques et initiatives privées, tout autant que les pratiques et mouvements artistiques actuels ne bénéficient pas de la même attention. Pourtant, outre l’intérêt purement historique et documentaire sur ce sujet, l’art contemporain et les conceptions esthétiques qui le sous-tendent constituent un point d’entrée pertinent pour comprendre et analyser les mutations récentes de cette région.
Ce domaine de recherche a ainsi pour objectif de contribuer à l’écriture de l’histoire de l’art contemporain dans la péninsule Arabique, en lien notamment avec l’étude de l’espace et de ses représentations culturelles, esthétiques et symboliques, le but étant de proposer des outils théoriques et conceptuels pour l’aborder dans toute sa complexité. Résolument pluridisciplinaire, il réunit à la fois des chercheurs et des professionnels – notamment des artistes, critiques d’art et commissaires d’exposition – des mondes de l’art contemporain dans la région.
Les recherches consacrées aux arts visuels s’attachent aussi à décrire les trajectoires d’artistes et des pratiques artistiques tout en les reliant au contexte politique et historique la péninsule Arabique, avec pour finalité d’interroger les rapports entre l’État, ses institutions et les mondes de l’art. Dans des pays où le mécénat étatique est central dans l’émergence des scènes artistiques, les recherches conduites dans ce sous-axe se concentrent particulièrement sur l’étude des politiques culturelles d’un pays, afin d’interroger le regard des artistes sur l’État et l’emprise de l’État sur l’art.