AXE IV

AXE IV
Savoirs, patrimoines et identités dans la péninsule Arabique
Au croisement de l’archéologie et de l’anthropologie, de l’histoire et de la mémoire, du passé et du présent, le patrimoine est devenu depuis quelques années un enjeu fondamental dans les pays de la péninsule Arabique où de nombreuses périodes historiques sont maintenant de plus en plus connues grâce au cumul des connaissances sur les civilisations des Nabatéens, de Dilmun ou des Sabéens.
Parallèlement, plusieurs pays ont vu naître des projets urbains gigantesques qui ont imposé un nouveau rythme de développement, une manière particulière d’organiser l’espace, et une économie fondée sur la valorisation du patrimoine et sur son intégration dans les processus culturels, sociaux et économiques. De telles transformations sont visibles au niveau du rôle joué par les musées dans ces nouvelles dynamiques (Musée du Louvre à Abou Dhabi, musée national de Bahreïn, musée national d’Oman, musée d’Art islamique à Doha), ainsi que dans les nombreux projets de sauvegarde des patrimoines menacés de disparition, notamment dans les zones de guerre ou de conflit (Yémen).
Un véritable objet est maintenant disponible pour être pensé et interrogé du point de vue des sciences humaines et sociales : comment s’articulent les projets de développement durable ou de cités écologiques avec les visions de l’économie dans les pays du Golfe et l’obligation de penser l’après-pétrole ? Comment se mettent en place les modernités architecturales, esthétiques et urbaines portées par les différents projets lancés en Arabie saoudite, aux Émirats Arabes Unis ou au Qatar ? Quels sont les paradigmes de développement qui pourraient se dégager de l’étude de l’articulation des différentes sphères de l’économique, du social et du culturel ?
L’axe IV des recherches conduites au sein du CEFREPA nourrit l’ambition de répondre à ces questions en donnant une idée claire des politiques patrimoniales menées dans les différents pays de la région, de leurs fondements intellectuels et de leurs mises en œuvre et réalisations. Il vise aussi à montrer les enjeux de mémoire et d’identité que recèle la question du patrimoine, dans une région qui est souvent ramenée aux étiquettes religieuses et confessionnelles. Le patrimoine ne serait-il pas au cœur d’un tournant historique qui est en train de se dérouler de manière sous-terraine mais véritablement effective, tellement il engage une redéfinition de l’identité et de la mémoire, du passé et du présent?
I. Les politiques du patrimoine entre mémoires et identités
En s’appuyant sur l’état de l’art et sur des exemples précis, le but de ce premier chantier est d’explorer les formes de prise de conscience de l’intérêt du patrimoine sous toutes ses formes, matérielles et immatérielles, antiques ou médiévales, dans les pays de la péninsule Arabique. Le patrimoine sert à promouvoir les valeurs portées par les cultures qui se sont succédées sur un territoire donné. Sa préservation recèle aussi un geste de sauvegarde des valeurs des peuples, de leurs manières de représenter la vie, de concevoir la beauté ou de mobiliser l’intelligence. Ce premier volet envisage aussi d’explorer les usages de la notion de développement durable au sein de la littérature produite dans les pays de la péninsule Arabique, et la manière dont elle est articulée à la préservation du patrimoine, insérée dans les visions stratégiques de l’évolution des sociétés, ou appliquée aux transformations subies par l’espace urbain.
Si le patrimoine peut être le marqueur d’une culture particulière ou l’illustration d’une civilisation unique en son genre, il peut aussi témoigner de la diffusion de modèles culturels partagés par plusieurs peuples et territoires à un moment donné de l’histoire. Cette diffusion ouvre sur la notion d’interculturalité qui est utile pour réfléchir sur l’évolution des techniques, les modes de production, les rites et les croyances, voire l’organisation de l’espace social et politique. D’où l’intérêt de tenir compte du patrimoine à la fois dans ses dimensions identitaires et mémorielles. L’espace de l’interculturel s’insère dans les interstices de cet enjeu double, celui de préserver sa propre histoire irréductible aux autres peuples, et celui des influences réciproques, emprunts ou diffusion de modèles communément partagés par plusieurs groupes.
Parmi les projets phares relevant de ce volet, il faut mentionner la mise en place, par Fatima Al-Baydani, d’un fonds d’enregistrements, fruit d’un quart de siècle de collecte du patrimoine littéraire oral du Yémen qui compte aussi bien des contes, des comptines, des poèmes, des chants, des proverbes, que des danses et des jeux provenant de toutes les régions du pays. L’ensemble fait l’objet d’une publication en cours sur le patrimoine oral populaire yéménite.
II- Etudes des manuscrits arabes : humanités numériques, éditions et traductions
En lien avec les bibliothèques des pays de la péninsule Arabique, le CEFREPA nourrit l’ambition d’engager un travail systématique de catalogage des manuscrits de l’époque médiévale, de leur numérisation et de la diffusion des savoirs qu’ils contiennent par des éditions critiques et des traductions en français et en anglais.
Certains travaux relevant de l’étude du patrimoine textuel des pays de la péninsule Arabique sont déjà engagés, comme en témoigne notamment le projet HUNAI piloté par Éric Vallet (Université de Strasbourg) et dont le but est de former un corpus cohérent d’ouvrages majeurs issus de l’abondante production textuelle de l’Arabie prémoderne, et de l’intégrer dans l’ensemble des ressources numériques arabes disponibles en Open Access, en plus de développer des études et des analyses historiques et linguistiques reposant sur la fouille de données textuelles appliquée à des corpus cohérents issus de cette production. La première étape de ce projet a été lancée en juin 2022-novembre 2023, avec comme objectif l’établissement d’un corpus pilote sur l’historiographie rasûlide (626-858/1229-1454).
D’autres projets dédiés à la formation de corpus électroniques sur les Miroirs des princes ou l’art de la Furûsiyya sont engagés par d’autres chercheurs du CEFREPA, en collaboration avec des institutions et des bibliothèques nationales des pays de la péninsule Arabique. Ils visent à valoriser ce patrimoine textuel en s’appuyant sur un corpus thématiquement homogène et permettant d’exploiter les données textuelles en vue d’étudier l’évolution d’un genre politique (l’art équestre, l’art de la guerre, les traités de gouvernement) ou de sonder la mise en place et le développement des concepts majeurs de la pensée politique arabo-musulmane.
III- Archives et archivage dans les pays de la péninsule Arabique
La constitution des archives est l’un des vecteurs les plus importants pour s’interroger sur les savoirs et les pratiques culturelles, leur circulation et leur transmission, ainsi que sur les processus de patrimonialisation et leur rôle dans la construction des identités individuelles et collectives, locales, nationales ou régionales. D’où l’extrême intérêt que lui accordent les chercheurs qui collaborent au sein du CEFREPA, à propos des méthodes de l’archivage et de l’exploitation des documents ou simplement pour aider à la consultation des archives françaises qui abordent tel ou tel pays de la région. L’exposition « La France et le Koweït : une amitié de plus de deux siècles », inaugurée le 29 mai 2022 à la Bibliothèque Nationale du Koweït a récemment montré cet intérêt et les perspectives importantes ouvertes par le travail dans ce domaine. Conçue initialement en 2020 dans le cadre du projet de recherche du CEFREPA intitulé « @rchives d’@rabie » et piloté par Luc Chantre (Université de Rennes 2), en lien avec la célébration par l’Ambassade des 60 ans d’amitié franco-koweïtienne, l’exposition a exploré des documents connus, tout en présentant des archives inédites qui montrent la profondeur des relations entre les deux pays et l’intérêt de les étudier et de mieux les connaître. Le projet « @rchives d’@rabie » vise dans l’ensemble à valoriser les archives françaises relatives à la péninsule Arabique, principalement conservées dans les centres des archives diplomatiques de Nantes et de La Courneuve sous forme de publications d’anthologies, de traductions et d’expositions destinées à un public plus large. En plus de l’Exposition sur la France et le Koweït, il a déjà donné lieu à une publication importante sur le pèlerinage dans les sources françaises.
Un autre projet, « Ar@chives_Kuwait », piloté par Anahi Alviso-Marino, et visant à l’établissement d’un inventaire, à la numérisation, et puis à la traduction de certains documents a été créé en 2016 afin d’étudier les archives personnelles de certains artistes et de mener des recherches sur les pratiques artistiques tout en les reliant au contexte politique et historique de cette région. Quant au projet intitulé « Archives du Yémen médiéval à l’époque rasûlide », il porte sur un corpus important et inestimable d’archives administratives remontant à la période rasûlide, relatives à la fois à la gestion de l’État et à certaines des grandes fondations religieuses (waqfs). Plusieurs recueils d’archives ont fait l’objet de publications sous la forme d’éditions annotées par Mohammed Jazem, le dernier en cours étant Al-Waqfiyya al-ghassâniyya.