Axe II
Coordination : Laurent BONNEFOY (CNRS-Sciences Po CERI, CEFREPA) et Mehdi BERRIAH (Vrije Univeristeit Amsterdam, CEFREPA)
Cet axe envisage le pouvoir dans toutes ses dimensions, intellectuelles, sociales et économiques, et mêle les programmes s’inscrivant dans le temps long (étude du jihad à l’époque médiévale et de ses réactivations actuelles) aux projets centrés sur la péninsule Arabique contemporaine (politiques étrangères des pays du Golfe, diplomatie, nouvelles dynamiques de la citoyenneté). Il mobilise les compétences des historiens, géographes, anthropologues, politistes et philosophes désireux de se pencher sur les défis que traversent des États en pleine mutations, notamment après les révolutions et mobilisations sociales qui ont marqué le monde arabe et le Moyen-Orient à partir de 2011.
Face à ce constat, l’ambition de ce sous-axe, focalisé en particulier sur le rôle pivot joué par la diplomatie et les résolutions pacifiques des conflits, est d’analyser les processus de prise de décision en matière de politiques étrangères. Qui fabrique réellement ce que l’on labélise comme une « politique étrangère » ? L’État est-il le seul acteur ? Au moment de la privatisation de certaines prérogatives publiques et de l’ouverture de plusieurs pays (Arabie saoudite, Émirats Arabes Unis, Koweït), aux différentes formes de mondialisation, cette question de la centralisation trouve une pertinence particulière. D’où l’intérêt de se focaliser sur les enjeux géopolitiques de cet espace qui fut toujours le carrefour non seulement de plusieurs tensions et conflits mais aussi de nombreux échanges et coopérations.
Abordée le plus souvent sous le prisme de la notion de « jihad » et des courants du jihadisme, la guerre en Islam mérite d’être étudiée dans ses différentes causes et manifestations (sociales, politiques, économiques) comme dans ses nombreuses répercussions et déclinaisons (historiques, mémorielles, psychologiques). Regroupant des historiens, anthropologues, sociologues, politistes et philosophes, ce sous-axe s’intéresse aussi à un domaine oublié, celui des activités diplomatiques et des traités qui cherchaient à en fixer les normes et préceptes. Les travaux menés par les différents chercheurs s’intéressent au phénomène de la guerre sur le long terme, et s’orientent vers la réalisation d’un triple objectif :
- 1- Arracher l’étude du jihad à ses réactivations et bricolages contemporains opérés par plusieurs courants idéologiques, notamment ceux du salafisme et de l’islamisme. Si l’actualité oblige à accorder une certaine attention à ces réactivations, au moins pour des raisons sécuritaires et à cause de leur présence massive dans les médias, il ne faut pas cependant qu’elles constituent des écrans empêchant d’étudier scientifiquement la guerre dans l’ensemble de la civilisation de l’Islam, à partir des corpus qui lui sont dédiés, et la variété des contextes historiques et des doctrines qui ont pu la marquer.
- 2- Ne pas se contenter des définitions théologico-juridique de la guerre, qui ont bel et bien existé à l’époque médiévale comme à l’époque contemporaine, et se focaliser sur d’autres corpus, souvent négligés, qui abordent ce phénomène d’un point de vue social, politique et stratégique : littérature des Miroirs des princes, traités de furûsiyya, histoire et chroniques des guerres en terre d’Islam, lettres diplomatiques et archives des relations entre princes et États.
- 3- Étudier l’histoire réelle des pratiques guerrières afin de sortir de la construction illusoire d’un ennemi toujours marqué par son altérité religieuse, ce qui permettra de dé-théologiser l’approche du thème de la guerre en Islam. Cela montrera, par exemple, comment la notion de « jihad » était appliquée, par les historiens et les chroniqueurs, aux guerres civiles ayant opposé les princes musulmans. Parallèlement, les chercheurs relevant de ce domaine sont engagés dans une réflexion globale qui porte non seulement sur le rôle joué par les armes pour conquérir un pouvoir ou en défaire un autre, mais aussi sur les liens entre, d’un côté, les dimensions éthico-politiques de la guerre et de la paix et, de l’autre, les différentes formes de violence qui ont prévalu depuis l’époque médiévale jusqu’à nos jours.
Ce domaine s’intéresse aux normes, préceptes et savoirs de gouvernement qui marquent les pratiques et théorisations observées dans la péninsule Arabique d’une manière particulière et dans le monde arabe, plus généralement. Il met au centre de la réflexion les décalages, relevés depuis la Nahda, entre des savoirs politiques ultra-modernes apportées par les Européens, et des pratiques encore déterminées par des formes de gestion et d’administration remontant à l’âge classique de l’Islam. Il s’agirait ainsi d’analyser la crise de l’assimilation des savoirs de gouvernementalité qui a généré des crises de gouvernabilité, auxquelles sont encore visiblement confrontés plusieurs pays arabes. Des crises complexifiées d’une part par à la remise en question de l’État et de sa capacité à réguler les autres sphères (sociale, juridiques, économique, individuelle), et révélée d’autre part par les blocages faits aux pratiques consensuelles du vivre ensemble (notamment par les courants de l’islam dit « politique »), ce qui nécessite une réflexion globale sur la citoyenneté et sur les différentes formes d’allégeance transnationales ou supranationales qui sont adoptées par les individus et les groupes. Pour ce faire, l’une des dimensions fortes de ce sous-axe consiste dans l’exploration du lien entre les nouveaux modes de gouvernement marqués par la recherche d’une certaine horizontalité entre les acteurs privés ou institutionnels, et les modes verticaux et hiérarchiques hérités des anciennes conceptions du gouvernement.
Pour aborder ces différents enjeux, trois thématiques seront explorées :
- 1- Analyser les différentes généalogies des pratiques de gouvernement, depuis l’époque médiévale jusqu’aux introductions récentes du paradigme de la «bonne gouvernance» et le rôle de ces pratiques dans les choix et décisions politiques et institutionnelles.
- 2- S’interroger sur les transfigurations qu’a connues la notion de citoyenneté. Celle-ci est au cœur de nombreux tiraillements et concurrences entre plusieurs formes d’allégeance : tribales, religieuses, dogmatiques, nationales et politiques. Son étude permet de voir comment les rapports entre gouvernants et gouvernés ont pu faire l’objet de nouvelles perceptions et représentations, et de quelle manière certaines réformes constitutionnelles, juridiques ou politiques ont permis de faire évoluer cette notion, dans des cadres sociaux marqués le plus souvent par la présence de nombreux non-citoyens et où la proposition des populations étrangères est parfois numériquement supérieure à celle des nationaux.
- 3- Aborder le lien entre la notion de citoyenneté et les dimensions sociaux-économiques de la gouvernance, notamment en ce qui concerne la focalisation de certains régimes sur la sécurité, le bien-être et le confort des citoyens, ce qui témoigne de la prégnance de certaines formes de l’État-providence sur les orientations politiques de nombreux pays arabes, notamment ceux du Golfe.